Les Ô troubles

Les Ô troubles

Carrie au bal du Diable, un film de Brian de Palma, 1976, américain

« C’est du sang de cochon. On lui déverse du sang de cochon sur la tête, comme dans le livre. Ça ne plaisait d’ailleurs pas beaucoup au producteur, qui était venu me dire : on ne peut rien changer à cette scène ? […] J’ai refusé, car ce qui est horrible, c’est justement qu’il s’agisse de sang poisseux. Et cette image de Sissy Spacek recouverte de sang, je n’arrête pas de la voir depuis 1976, elle est devenue le symbole du film et nous accompagnera, car elle est d’une redoutable efficacité sur le plan visuel. » Extrait de Brian De Palma-Entretiens avec Samuel Blumenfeld et Laurent Vachaud. Calman Lévy. 2001.

Brian De Palma.

 

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        L’histoire de Carrie, avant d’être l’histoire d’un film, c’est l’histoire d’un roman, celui de Stephen King. Inutile de le présenter, l’auteur est connu dans le monde entier, il est le roi de l’horreur, de l’épouvante, bref, le king.

        Carrie est son premier roman, publié en 1974 et non sans souci. En ce temps-là, King n‘est pas l’écrivain à succès que l’on connait. Il vit dans une caravane, use et abuse d’alcool et de drogues en tout genre. Dans une crise de désespoir, il jette son manuscrit. Heureusement pour les fans du monde entier, sa femme le récupère et en 1974 le roman est sur la table de toutes les bonnes librairies. Mais le succès de King vient autant de son écriture absolument génialissime qui tient du prodige, que du fait que quasiment toutes ses œuvres ont été adaptées au cinéma, nourrissant ainsi son succès, relançant constamment la lecture et l’analyse de ses travaux. Et pour la première incursion dans le monde du cinéma d’un roman de King, c’est un réalisateur, et pas des moindres, qui s’en charge : Brian De Palma.

 

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        Lorsque le réalisateur débute le tournage, il n’est pas vraiment un débutant, on lui doit entre autres trois grands films : Sœurs de sangs, Phatom of the paradise (une comédie musicale déjantée) et Obsession. En découvrant le roman de King, De Palma met ses agents dessus. Obtenant les droits, il signe l’une des productions horrifiques les plus marquantes jamais créées, au même titre que Friedkin et son Exorcisme ou bien Carpenter et son Halloween. L’image de Carrie recouverte de sang de porc fera le tour du monde et Sissy Spacek marque à jamais le film d’horreur. Pour sa prestation elle se retrouve la même année nominée aux Oscars comme meilleure actrice, ce qui est rare pour un film d’horreur. Pourtant, alors que Brian de Palma profite des castings de George Lucas qui prépare un petit film de Science fiction, pour dénicher ses actrices et acteurs (entre autres John Travolta qui débute ici au cinéma) la jeune femme n’est pas du tout pressentie pour le rôle. En effet, dans un premier temps, Sissy Spacek n’apparait pas au casting, elle n’est autre que la femme du directeur artistique du précédent film de De Palma, Phantom of Paradise  (qui sera d’ailleurs aussi le directeur artistique de Carrie). Mais la jeune femme, après avoir été subjuguée par le livre de King, veut absolument ce rôle. Et c’est là, la première force du film : Sissy Spacek devient Carrie. Tout est dans les postures, dans l’absence de maquillage, dans le regard travaillé d’une façon sublime. De Palma ne filme pas Carrie comme un monstre, mais au contraire, avec douceur, avec un éclairage, du moins jusqu’à la salle du bal, très doux, troublant, que je qualifierais presque de romantique. De Palma d’une façon étrange, s’attache au monstre, à l’adolescente mal dans sa peau, maltraitée à l’école, maltraitée à la maison par sa mère.

 

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        Et puis, la mère bien sûr, car tout vient de là, la mère qui ne voit que par Dieu, la mère fanatique religieuse, la mère jouait avec brio par Piper Laurie qui sera elle aussi nominée aux Oscars dans la catégorie meilleur second rôle. Ce sont ces actrices, ce duel entre deux femmes qui va marquer les esprits.

 

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        Ensuite, bien évidement, vient la mise en scène de De Palma, son sens du détail, du plan travaillé jusqu’à l’extrême. Ce qui fait que tout semble contrôlé (ce qui est une habitude sur ses tournages, car le réalisateur est fou furieux du story-board et du total contrôle), du premier plan au second plan, de la couleur à la profondeur de champ superbement exécutées. Le travail sur le rouge, qui apparait comme être la couleur dominante du film, du début à la célèbre scène de fin, celle du bal où le rouge se fait explosif, diabolique, coléreux, où il inonde Sissy Spacek mais aussi le spectateur. Le sang, le sang des menstrues, le sang du porc, le sang du Christ, le sang qui est le leitmotiv du film, de la religion, de la vie et enfin de la mort. Le rouge donc comme leitmotiv de la bande, les cierges chez la mère, la voiture à la fin, dans les décors. Le sang en contraste avec cette couleur de pellicule, des images un brin jaunes, calmes, qui se retrouvent la plupart du temps dans le métrage, quand il filme Carrie dans la salle de cours, quand il filme les scènes de sport. Tout commence par un paisible ralenti avec des jeunes filles qui, après le cours d’éducation physique, vont se détendre, un ralenti « zen », calme, avec cette belle couleur jaune, mais bientôt vient l’explosion. De Palma nous trompe et d’une ambiance calme, presque érotique, nous amène vers des choses plus dures, plus souterraines, plus monstrueuses. Les autres et leurs moqueries, les autres et leur méchanceté. Tout le film repose sur ce principe : le calme, la gentillesse et même le pardon cachent des choses bien plus dures, plus ambigües, comme ce don de télékinésie que développe Carrie. Derrière ce petit monde bien huilé, ce petit monde bien gentil, dans cet idéal qu’est l’adolescence, rien n’est beau, ni gentil. Le sang appelle le sang ! Brian de Palma nous livre un film violent et dur, ou la pureté n’existe pas, ou tout est sali, le pardon impossible et l’oublie inexistant. Au final tout finira par mourir, tout est toujours souillé.

 

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      De Palma est un cinéaste virtuose, un directeur d’acteurs autant qu’un grand directeur artistique, un fou de cinéma qui parle autant de Hitchcock et de Godard que de Bava ou de Peckinpah et ce sont toutes ces influences qui sont représentées ici dans une mise en scène baroque, très proche du Giallo. Pour cela, il faut pénétrer dans la maison de Carrie, voir les crucifix, les tableaux, les peintures. L’ambiance dans la mise en scène, loin d’être macabre, se fait grandiloquente et influencée par un certain cinéma italien.

 

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        Le film oscille, se construit, autour de deux scènes : celle des douches, dont nous avons parlée et bien évidemment, la fameuse scène, mondialement connue, grandiose, baroque, horrifique, du bal sanglant, dit « Bal du diable » en France (traduction sans intérêt). Tout le calme qui précède, toutes les actions, même les plus gentilles, qui ont lieu avant, ne peuvent empêcher cela ! Le sang rependu sur le visage, le corps de Sissy Spacek, le sang sur sa robe, violant sa pureté virginale, détruisant le bonheur, le sang non plus de la vie, mais le sang de la vengeance, de la honte. Et là, dans cette salle de bal, au cœur de ce moment de bonheur, ce qui ne devrait pas arriver, ce que l’on ne doit pas voir, est rendu visible, doublement, triplement même par l’utilisation du split screen (écran coupé montrant plusieurs images en même temps), du montage hors-norme et grandiose de De Palma. Tout le monde rit, même les plus gentils, ceux qui sont sensés sauver, protéger, et rien ne sauvera personne en retour. Ni la force, ni la religion, ni l’amour, rien n’est préservé face à cet obscur pouvoir que le sang libère. La télékinésie comme un simple prétexte à tout détruire, à délivrer une pensée nihiliste, à abattre la petite banlieue américaine paisible, détruire le calme, détruire les images bien tranquilles du début. Tout est là, dans cette conclusion, dans cette affreuse scène tournée avec ce vrai sang de cochon. La salle de bal qui brille (on en revient au baroque, au gialo) va maintenant exploser, être découpée au montage, dans le plan même, et le rouge va triompher ! Il faudra plus de six semaines de montage à Brian de Palma pour arriver à ce résultat, magnifique, quasi unique en son genre (le réalisateur l’avait toutefois expérimenté avant dans un documentaire) et qui va faire de Carrie l’un des films dit « d’horreur » les plus marquants au monde.

Un chef-d'œuvre. 

 

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24/04/2014
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