Sorciers, sorcières et possédés en Normandie, Procès en sorcellerie du Moyen Âge au XVIIIe siècle, Yves Lecouturier, aux Éditions Ouest-France, 2012
Couverture présentant Jeanne d'Arc au bûcher
On a tous en tête aujourd’hui une image plus ou moins claire de l’histoire de la sorcellerie et de la possession. Certains vous parleront de bûchers titanesques, d’autres de sorcières juchées sur d’invraisemblables balais, de chats couleur de jais, de têtes qui tournent à 360°... La sorcellerie et le Diable ont marqué à jamais notre inconscient. Mais il résonne un écho bien plus funeste derrière cette image parfois folklorique. Lorsque les bûchers se sont allumés, ce sont bien des hommes et des femmes, de chair et de sang, qui ont péri dans les flammes. Le rôle de leur société et de la conjoncture des temps dans le traitement de leur « cas » soulignent des procès douteux, des chefs d’inculpation détournés et des pratiques malsaines. C’est l’histoire de la peur qui se dissimule derrière le condamné, cette même peur qui cause, aujourd’hui encore, bien des ravages.
C’est par le biais des archives qu’Yves Lecouturier se propose de retracer leur histoire en Normandie. L’usage de sources judiciaires, qui se couple à divers documents contemporains aux faits tels que textes de loi, bulles papales, mémoires et autres pamphlets, offrent au lecteur une vision brute. Il s’agit en effet d’un certain point de vue sur les événements, qui s’approche de la vérité du moment, même si, bien sûr, il faut garder à l’esprit la subjectivité des propos.
Cliché classique... (Musée de la Sorcellerie, Blancafort)
Dans un premier temps, l’auteur dresse un bilan des connaissances actuelles (bilan très succinct p.15) concernant la sorcellerie en France. Un moyen pour lui de rappeler que c’est la Renaissance qui verra s’allumer le plus grand nombre de bûchers maudits. Manière aussi de mettre en valeur les nombreux textes rédigés à l’époque attestant avec certitude de l’existence et des pratiques de sorcellerie. Depuis les traités (tels le Malleus Maleficarum, rédigé par Sprenger au XVe ou encore le célèbre De la démonologie des sorciers, par Jean Bodin, publié en 1605…) jusqu’aux textes de loi (le premier est l’œuvre de Childéric III en 742) en passant par les diverses bulles papales (autorisant la torture, l’encourageant ou mettant en place les lugubres tribunaux d’Inquisition), leur présence dans le royaume ne semble pas être sujette au moindre doute. Les courants religieux divergents et les ennemis des catholiques (et donc, du Roi de droit divin) tombent fréquemment sous le joug de cette accusation, soulignant ainsi l’intérêt que peuvent avoir certains dirigeants à entretenir l’idée d’une sorcellerie à condamner... (Pensons aux Cathares ou aux Templiers par exemple)… La chrétienté rend ces procès légitimes, d’ailleurs, n’ont-ils pas obtenu des aveux ? Et l’exemple du bûcher (le supplice public si cher à Michel Foucault !) ne rendait-il pas l’expérience visible, incontestable, n’ancrait-il pas la morale à grand coup de violents spectacles ?
Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay sur le bûcher, Miniature du Maître de Virgile,
Provenant des Grandes Chroniques de France, vers 1380 (British Library)
Selon la procédure, le sorcier ou la sorcière (Chorchi dans les campagnes normandes) avait signé un pacte avec le Diable. Mais ici, on n’est pas dans Faust, il n’y a pas de traces écrites, mais une marque sur le corps de l’approché. Cette marque, si l’on en croit les accusateurs, est indolore. Comment la trouver donc ? Et bien, en piquant le corps du supplicié qui finira par révéler l’emplacement du signe démoniaque. Puis, il faut aller au Sabbat, et dès lors, c’est sous la torture que le condamné devient le plus prolixe. Et s’il n’avoue pas ? C’est le fait du Diable ! Bref, vous l’aurez compris, on ne se soustrait pas aisément aux griffes de tels tribunaux…Bien qu’il y ait quelques cas.
Après ce bref rappel que je viens moi-même d’abréger, l’auteur entre dans le détail des principaux cas normands prérévolutionnaires. Ce qui est appréciable ici, c’est qu’il ne tombe pas dans le sordide ou le malsain. Non, Yves Lecouturier s’attache aux documents et laisse le lecteur découvrir les faits sans détails douteux.
La Normandie ayant vécu au fil des invasions, elle a connu les démons celtes, scandinaves, etc. Tout ce folklore a fait naître peurs et superstitions, et le christianisme, à travers ses représentants, a mené un « combat » qui devient à la fois symbole et raison de son imposition. Mise à part la condamnation très politique de Jeanne d’Arc au bûcher, la Normandie du XVe siècle ne connait pas d’aggravation spectaculaire des cas de jugement pour sorcellerie jusqu’à la Renaissance.
Jeanne d'Arc au bûcher, le 30 mai 1431. Miniature extraite des Vigiles de Charles VII, par Martial d'Auvergne (vers 1484).
[Bibliothèque nationale de France, Paris.] Ph. Coll. Archives Larbor
Certains faits du Diable sont inscrits, quant à eux, dans le paysage et dans la toponymie. C’est le cas par exemple du célèbre (et désastreusement touristique…) Mont Saint Michel (à l’origine Mont tombe, soit Monte Tumba), qui résulte d’un combat entre le maître des Enfers et Saint Michel lui-même. Ce lieu fut aussi le terrain de pratiques celtiques. Hasard ? Certainement pas, le catholicisme ayant pour fâcheuse habitude de malmener ses rivales par un grotesque « pousse-toi-que-je-m’y-mette » !
Archange Michel terrassant Satan
Le château qui porte le nom de Robert le Diable (du haut de ses tours désormais, c’est l’autoroute que l’on contemple…!) est on ne peut plus évocateur. Il doit son nom à son illustre maître, Robert II, duc de Normandie (1027-1035, père de Guillaume le Conquérant, s’il vous plait !) qui fut surnommé le « Diable » avant d’être appelé le « Magnifique ». D’après la légende, ce duc est né après que sa mère ait consulté un sorcier, prés de Rouen, ou bien encore, il serait le fruit d’une relation violente que lui aurait imposée son mari. Quoi qu’il en soit, cette naissance hors de l’amour chrétien lui a valu un surnom lourd de sens. On rattache encore ce surnom diabolique à une jeunesse violente et tumultueuse. Les attributs noirs du personnage ne pouvaient qu’être le fruit du Malin. Cette idée se confirme ailleurs, ne parle-t-on pas aujourd’hui encore de « petit Diable » face à un marmot insupportable ?
La conversion de Robert le Diable, par Cabasson (Guillaume Alphonse Harang, dit Cabasson) 1840
Comme je le disais précédemment, le motif de sorcellerie est bien souvent utilisé à des fins d’accusation « arrangeante ». Ainsi, ce fut le cas pour les Templiers et Enguerrand de Marigny, célèbre affaire de bûcher et de malédiction sur laquelle il n’est pas nécessaire de revenir (Yves Lecouturier la résume très bien lui-même, dossiers à l’appui p.45). Un autre procès s’oriente dans le même sens, celui de Jeanne d’Arc, brûlée à Rouen. Une fois de plus, on peut remettre en question le fondement des accusations, qui semblent tomber à point, un peu trop même…
Un cas soudain attire l’attention de l’auteur, celui de Guillaume Adeline, aussi connu sous le nom d’Édelin. Ce docteur en théologie fera les frais de deux principaux contextes. D’une part, depuis 1451, une bulle papale autorisait l’Inquisition à intervenir directement dans les affaires de sorcellerie, sans l’aval des évêques. D’autre part, Guillaume Adeline, entre autres, présentait la sorcellerie comme une œuvre de l’imagination (il était trop tôt pour dire ça !), et les sabbats comme irréels. Propos risqués en des temps où la crainte de ce « crime » servait l’église et les puissants. Il n’en faut pas plus pour qu’il soit déclaré le jouet du Diable…et s’en suit un procès habituel dans de tels cas. En combattant les divergences qui lui faisaient face, l’Inquisition légitimait et justifiait les persécutions envers les hérétiques. Les esprits évoluèrent par la suite, et au début du XVIIe siècle, d’autres purent tenir les mêmes propos qu’Édelin, sans être inquiétés outre mesure.
Le Sabbat, anonyme, date illisible
C’est en 1591 qui survint dans la cité de Louviers une première affaire de possession en la personne de Françoise Fontaine. Et les exorcismes se mirent à pleuvoir sur la ville…Le cas de Françoise Fontaine est sans doute l’un des premiers cas de possession connus en Normandie. Il est amusant de voir que, dans plusieurs situations « d’exorcisme » données ici, il est estimé par les autorités religieuses que le Diable réside dans la chevelure, voire dans la totalité des éléments pileux du corps, qu’il faut alors raser et brûler…
Peu après les célèbres affaires des possédées d’Aix-en-Provence (1609) et de Loudun (1632), éclatait dans l’Eure celle des possédées de Louviers (1643). Cette affaire, et la tournure que prirent les événements témoignent d’une volonté religieuse de marquer les esprits, conséquence directe de la Contre-Réforme. On n’hésite donc pas à envoyer au bûcher des prêtres reconnus hérétiques, parce que dénoncés par celles que nous qualifierions volontiers aujourd’hui d’hystériques ! Via le cas de l’abbé Picard, accusé d’être responsable d’un état de possession qui porte préjudice à toute une communauté religieuse, on constate l’importance accordée au cadavre. Un mort peut être puni, essentiellement en le déterrant et le ré enterrant après avoir fait subir la sentence à sa dépouille (ici, crémation). [J’en profite pour faire une petite parenthèse sur un thème qui n’apparait pas dans le livre : cette place du cadavre dans la justice des hommes fut longtemps présente. Ainsi, un suicidé peut se voir jugé, même après sa mort, pour l’acte commis, et son corps châtié (enterré hors des terres consacrées par exemple).]
Les Possédées de Loudun, Anonyme, XVIIe siècle
Arrêtons-nous à présent sur le cas de Marie des Vallées (p.107) pour voir plus précisément ce qui traduisait, selon les contemporains, la possession. Cette jeune fille, qui avait connu le remariage de sa mère avec un homme violent, était convaincue d’avoir reçu un maléfice. Ce dernier lui aurait été jeté après qu’elle ait refusé les avances d’un jeune homme qui se rendit chez une sorcière pour venger son honneur (sorcière qui sera d’ailleurs brûlée). Dès lors, elle tint des propos vulgaires, son corps se convulsait affreusement, elle semblait en souffrir, ne parvenait plus à entrer dans les lieux saints, craignait l’eau bénite, et bien qu’elle soit illettrée, elle répondit au prête qui officiait pour son exorcisme en latin, en grec et en Hébreux…Cette jeune fille sera bientôt considérée comme une victime innocente (puisque toujours vierge) et un culte lui fut rendu, puissant et bien sûr, réutilisé par l’Église comme démonstration de sa lutte contre les démons…
Vue de La Haye-du-Puits
Vient ensuite le cas des sorciers de La Haye-du-Puits, à la fin du XVIIe, que je vais essayer d’abréger parce que j’ai déjà abusé de votre patience. Le jeune Jacques Noël se déclare possédé et ne tarde pas à dénoncer deux habitants de La-Haye-du-Puits qui l’auraient mené au Sabbat sous promesse de son silence. Rapidement, les appels à la délation portent leurs fruits et les « sorciers » se multiplient : ce ne sont pas moins de 200 personnes qui seront interpellées ! Et ces approchés parlaient d’autant plus facilement qu’ils étaient automatiquement soumis à la torture…Comme ils le peuvent depuis 1630, nombreux seront ceux qui feront appel au tribunal de la Tournelle de Rouen (ils sont alors 34 condamnés), mais sans grand espoir, et ils avaient raison de ne pas trop attendre de cette cour réputée très sévère en matière de sorcellerie…Cependant, Claude Pellot, premier président du tribunal, émet un doute alors que les bûchers s’érigent déjà et que certains condamnés ont sombré dans la folie. Proche de Colbert, il donne alors une autre dimension au procès. La lettre qu’il lui écrit, rapportée ici par Yves Lecouturier, permet d’obtenir une suspension des exécutions. Dès lors, le Roi utilise cette affaire pour rappeler au Parlement qu’il ne doit pas outrepasser son Monarque, et rester « au pas ». Mais les parlementaires normands, forts de leurs preuves (marques, transport, maléfices et sabbat) n’entendent pas céder à Louis XIV. Ce dernier l’emporte malgré tout. Or, la décision arrive trop tard pour certains et seule une vingtaine de condamnés sortiront vivants des geôles. L’affaire des sorciers de La-Haye-du-Puits reste le dernier grand procès de sorcellerie de l’histoire française, et l’ordonnance de 1672 qu’il fit naître fut confirmée en 1682. Par une Déclaration générale, le Roi déclare alors : « la condamnation des sorciers et des crimes de sortilège est désormais limitée au bannissement ». Cet édit ne correspond pas aux attentes de Claude Pellot, cependant, désormais, les « devins, magiciens et enchanteurs » n’étaient qu’une même famille d’illusionnistes qui pervertissent les crédules, pour reprendre les propos de l’auteur. Malheureusement, le Parlement de Normandie ne se sent sans doute pas concerné puisqu’il continue à envoyer au bûcher…Certes d’autres procès comme celui de Marie Besnoit dite La Bucaille ne conduisent pas aux flammes, mais les conséquences restent lourdes pour les approchés.
Scène d'Inquisition, Alessendro Magnasco, huile sur toile, v. 1720-1730
D’autres n’auront pas cette chance, comme le berger brûlé à Beaumont-le-Roger en 1682, ou celui du Bec-Hellouin peu après. Il faut dire que ces hommes de par le métier qu’ils exercent sont particulièrement enclins à susciter la méfiance. En effet, solitaires, ils connaissent le pouvoir des plantes et sont les plus proches des animaux en cas d’épidémie dévastatrice chez ces derniers…Des victimes toutes désignées en somme.
Le rêve du berger, Henry Fuseli, 1793
Le cas de la possession de Madeleine Morin (p.159) souligne quant à lui une volonté d’explications scientifiques. Malheureusement, celles-ci se termineront par un échec, mais la jeune fille échappera tout de même à toutes conséquences mortelles. Un autre retournement de situation est remarquable : en 1723-1725, des filles dites « possédées », au lieu d’être écoutées comme ce fut le cas auparavant, furent emprisonnées, foutées, séparées ou juste "guéries" lorsqu’elles ne causaient pas de tort.
La science et la réflexion s’imposent peu à peu, mais le doute persiste chez nombre de contemporains, le Diable a marqué les esprits, pour des siècles et des siècles. Aujourd’hui encore, les toponymes sont légion à témoigner du passage du Malin : pont du Diable, mont des sorciers…
Mais ce qui est à noter avant tout, c’est qu’il existe toujours des prêtres exorcistes, dans chacun des six diocèses de Normandie…et ils ne sont pas au chômage…
Eds Garnier, La Bibliothèque, Tome 35
Bref, bien que l’étude reste vague, et parfois peu accessible du fait que l’ancien français n’est pas traduit, on traverse, l’espace de ces quelques pages, les grands moments de la chasse aux sorciers et à la possession en Normandie.
A découvrir aussi
- Histoire des maisons hantées, de Stéphanie Sauget aux éditions Tallandier
- Dans les archives secrètes de la police, Quatre siècles d’Histoire, de crimes et de faits divers, sous la direction de Bruno Fuligni, L’Iconoclaste et les Editions Gallimard Folio, 2011
- Bourreaux de père en fils, Les Sanson, 1688-1847, par Bernard Lecherbonnier, aux éditions Albin Michel, 1989
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