Histoire des maisons hantées, de Stéphanie Sauget aux éditions Tallandier
C’est un sujet délicat pour l’historien que de traiter des hantises. D’ailleurs il n’y a que de très (trop) rares recherches sur ce sujet en histoire contemporaine, ce qui n’est pas le cas pour d’autres périodes telles que le Moyen Âge par exemple…Sommes nous dans un siècle du rationnel où les fantômes n’auraient pas leur place dans les milieux scientifiques ? Stéphanie Sauget signe ainsi un travail admirable, courageux et conséquent.
J’apprécie sincèrement que ce thème soit considéré de cette manière, celle de l’historienne, celle d’un regard objectif et curieux. Après avoir travaillé sur l’histoire des gares (A la recherche des pas perdus, 2009 éditions Tallandier), l’auteur s’attache ici à d’autres lieux, des lieux en crise qui ont de nombreuses choses à raconter, à exprimer ou à faire ressentir. Elle déclare elle-même aimer les lieux et leur histoire (je vous invite, pour plus d’informations, à réécouter son passage du 14-05-11 sur France culture dans l’émission Mauvais genres de François Angelier). C’est sans doute l’amour de la recherche qui l’a poussée à entamer ce travail, c’est l’amour de ce sujet qui m’a poussée à saisir ce livre et je dois le dire, je ne suis en rien déçue !
Son étude s’étend sur un « long 19ème siècle » qui voit l’émergence des mouvements spirites pour arriver à un 20ème siècle dans lequel les hantises deviennent un véritable fond de commerce.
C’est un ouvrage que je conseille à tous ceux et toutes celles qui se questionnent sur ce sujet. Vous y trouverez une mine d’informations et de nombreux conseils de lecture ou départs de recherches. C’est avec ce que j’appellerais une grande « délicatesse » et un grand respect que l’historienne pousse la porte des demeures hantées. En aucun cas elle ne cherche à prouver la véracité de tel ou tel point de vu. Historienne du culturel et du social, elle regarde avant tout ce qui a été considéré comme hanté. Elle commence par nous rappeler qu’hantise, spectre etc. sont avant tout des mots, un vocabulaire qui à l’origine n’est pas forcément lié au paranormal. C’est au 19ème siècle que, grâce aux anglais, ils prennent plus concrètement le sens qu’on leur attribue aujourd’hui.
Au 18ème siècle, sous l’emprise des Lumières, les maisons hantées posent de vrais problèmes. Peut-on sérieusement croire à ce qui n’est qu’obscurantisme en ce siècle de sciences ? Il parait évident à cet instant que les maisons dites « hantées » (qui ont toujours existé) ne sont qu’un reste de superstitions incompréhensibles. Il faut résoudre ce problème, diagnostiquer le mal pour l’anéantir.
Et le 19ème siècle sera clairement celui des hantises, analysées, décomptées et étudiées. Chacun peut alors croire sa maison hantée. « L’épicentre » du phénomène, source de la vague spirite de ce siècle, se trouve à Hidesville. C’est là bas qu’en mars 1848, dans un petit cottage, les deux jeunes sœurs Fox entendent des coups frappés dans la demeure familiale (qui, soit dit en passant, n’a pour l’instant rien à voir avec les « clichés » gothiques du 19ème). La plus jeune des deux sœurs répond aux coups et un dialogue s’établit, elle communique avec l’esprit, le spiritisme est né de cette réponse. La maison hantée devient lieu d’expression avec les fantômes et le phénomène se répand. Des objets (plus simples à transporter) peuvent eux aussi être hantés : une table par exemple.
« Le spiritisme renouvelle complètement l’image de la maison hantée, renouvelle la nécromancie et dépoussière des pratiques anciennes ». Ce phénomène part des Etats-Unis, arrive en Angleterre et enfin, en France. Les membres et leurs activités sont très nombreux ; des journaux sont consacrés au spiritisme et autres fantômes, des conférences, des speakers, des mediums (bien que ce phénomène soit bien moins important en France). Les sources qui donnent des chiffres précis restent malheureusement peu fiables, mais ce qui est certain, c’est que le phénomène est important !
En parallèle se développent le goût pour « l’intérieure », la notion du ‘home sweet home’, le papier peint, les grandes fenêtres lumineuses et l’importance de la cellule familiale. Ainsi, les maisons plus anciennes avec leur manque de luminosité, leur style peu commode, deviennent des maisons repoussoirs, deviennent des maisons hantées. De même, la présence de fantômes pose de sérieux problèmes puisque si l’on attache de l’importance au « bien chez soi », comment peut-on supporter de s’en voir privé par un esprit (se manifestant de manière plutôt violente au 19ème) ?
Ces phénomènes de hantise touchent toutes les classes sociales. On trouve aussi bien un Kardec prolétaire, qu’une veuve Winchester extrêmement riche ou encore la noblesse ayant délaissé ses terres et châteaux. L’imaginaire social est alors très développé et tout le monde peut croire, au 19ème siècle, sa maison hantée. Il y a cependant quelques théories « principales » que nous pouvons résumer ici (mais attention, il s’agit là d’un résumé très très succinct !) qui cherchent à apporter des réponses aux phénomènes:
- Théorie de la maison infestée (loca infesta) plutôt par des créatures démoniaques. Le début et la fin du 19ème siècle se remarquent par un retour de la croyance au diable, l’Eglise est dans ce cas très sollicitée. Mais chez les catholiques, même s’il y a une porosité entre le monde des humains et celui des morts, il ne faut pas non plus qu’il y ait trop d’âmes errantes sur Terre. En effet, il existe des lieux pour les esprits dans l’au-delà selon les principes de la Bible. Ainsi il ne faut pas qu’il y ait trop de cas, et lorsqu’il y en a, c’est forcément grave. (Rappelons cependant que dans certains pays comme l’Italie, le catholicisme fut un frein au dialogue sur les fantômes)
- Les spirites ; pour eux, les phénomènes de hantise sont dus à des esprits de défunts bloqués sur Terre, ils essaient donc d’entrer en contact avec notre monde, ils tentent de communiquer, ont parfois besoin d’aide. Ainsi, différemment aux catholiques pour qui il s’agit d’un tourment qu’il faut éradiquer, les spirites, eux, vont plus loin que l’exorcisme et voient les fantômes comme des êtres avec lesquels il faut parler, entrer en contact.
- Questionnement : la hantise n’est elle pas uniquement un révélateur de troubles tels qu’hallucination, télépathie etc.
De nombreux contemporains ont aussi travaillé sur le phénomène et Stéphanie Sauget ne manque pas de nous en parler ; de Jules-Eudes de Mirville à Gaston Méry (la faute aux femmes de la maison !) en passant bien sûr par Camille Flammarion (pour qui tout s’expliquera avec l’évolution de la science !).
Toujours est-il que nos « clichés » sur les maisons hantées, ceux là mêmes qui permettent à certains de faire de beaux chiffres d’affaires (salut à toi Amityville !), sont nés au 19ème siècle, au cours de « l’épidémie » spirite qui passionna, emporta, fit rire ou sourire mais n’empêcha pas Sarah Bernhardt de dormir dans un cercueil !
Enfin, ce travail nous permet de découvrir des lieux fantastiques : construits pour attirer les esprits (Victor Hugo à Guernesey pour ses chers disparus), lieux de crimes abjects (la maison Lalaurie), ou encore cette sidérante maison Winchester construite, elle, pour perdre littéralement les fantômes dans ses méandres et en protéger la propriétaire (cf. http://www.winchestermysteryhouse.com/)
Et ce n’est là qu’un aperçu rapide et médiocre sur un travail que je salue !
A découvrir aussi
- La maison hantée, Histoire des Poltergeists, de Claude Lecouteux, Editions Imago & diffusion PUF, 2007
- Sorciers, sorcières et possédés en Normandie, Procès en sorcellerie du Moyen Âge au XVIIIe siècle, Yves Lecouturier, aux Éditions Ouest-France, 2012
- Bourreaux de père en fils, Les Sanson, 1688-1847, par Bernard Lecherbonnier, aux éditions Albin Michel, 1989
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