Lindqvist John Ajvide, Laisse moi entrer, 2010 (VO : Lat den rätte komma in, 2004, traduit du suédois par Carine Bruy)
Coup de coeur
« Oskar a 12 ans. Il vit seul avec sa mère au cœur d’une banlieue glacée de Stockholm. Martyrisé par trois adolescents de son collège, il rêve de devenir tueur en série pour se venger de ses tortionnaires.
Eli emménage un soir dans l’appartement voisin. Elle sort le soir, semble ne craindre ni le froid ni la neige et exhale une odeur douceâtre et indéfinissable.
Entre ces deux adolescents que tout oppose naît le plus violent des sentiments : l’amour. Mais, tandis que des meurtres se succèdent dans ce quartier réputé tranquille, Oskar découvre la vraie nature d’Eli et comprend qu’elle est un vampire…
Une magnifique et sanglante histoire d’amour et d’amitié entre deux êtres désespérément seuls et différents. » (4e de couverture)
J’en ai mis du temps à me caler devant mon clavier pour venir vous parler de ce livre, et pour cause : c’est un coup de cœur sincère, une histoire que j’ai peur d’oublier en couchant mon avis sur ce mauvais papier virtuel. Comment dire ? C’est un petit morceau de glace brûlant… ? Oui voilà : c’est une histoire de prime abord glaciale et tuberculeuse, mais qui recèle une pâle chaleur.
Tout d’abord, l’écriture. Pure et crue, j’ai presque envie de dire froide, et pourtant tellement riche, tellement émouvante. Entre les lignes si fluides, si joliment composées parfois, presque poétiques, c’est aussi bien l’histoire de la solitude que celle de la présence, celle de l’amour que celle de la retenue. Il y a de la violence touchante et du vice qui se cherche une limite sans oser la nommer, de l’innocence et de l’immonde. La tentation habite ces pages, à différents niveaux, plus ou moins répréhensibles aux yeux des Hommes. C’est comme ça que je l’ai ressenti en tout cas. Et au centre de ce monde où l’on croise l’oisif, le paumé alcoolique, le pédophile nauséabond, la mère esseulée, le père absent et le camarade fou ou violent, on trouve ces deux petits êtres si fragiles : cet enfantin vampire, faible et pourtant si fort, ce garçon victime et secrètement vainqueur.
Je ne reviens pas sur l’histoire, le résumé ci-dessus en trace les grandes lignes. Mais ce qui est remarquable ici, c’est la façon dont l’auteur fait naitre le fantastique dans cette glaciale banlieue de Stockholm, qu’aucune lumière artificielle ne saurait rendre moins sordide. Car bien sûr, c’est aussi une histoire de vampire, la petite Eli est l’un d’entre eux. Mais ce vampirisme est pour moi presque présenté (sur une large partie du récit en tout cas), comme une maladie qui soumet, isole, perturbe. La problématique du devoir de tuer est omniprésente : où s’arrête cet instinct et où en débute un autre… Finalement, les deux personnages principaux que sont Eli et Oskar sont faits pour se rencontrer, ils s’apprennent l’un à l’autre, le monde est plus viable l’un avec l’autre. Au contact d’Oskar, Eli qui pourtant se nourrit de victimes humaines, nous apparait comme l’un des personnages les plus purs du livre. L’ouvrage (me semble-t-il) ouvre aussi une large brèche sur la question des seuils de tolérance, sur ce moment où l’on cède et celui où on lutte, sur les limites de l’instinct et de l’acceptation de soi. (Se réveiller changé, un beau matin, l’accepter, vivre avec ses démons, où le refuser et s’offrir l’ultime liberté).
Finalement, le fantastique prend place au cœur de ce que nous pourrions appeler une fresque sociale, riche de personnages et de situations. En effet, l’histoire ne retrace pas « seulement » le point de vue d’un acteur, non, elle se décline à travers la vie de plusieurs habitants de cette banlieue suédoise, ne nous en montre pas les meilleures facettes, mais enrichie indéniablement le texte. Le cocon de l’histoire est âpre, sombre et pourtant, tellement humain !
Il est aussi question de cette pureté de l’enfance qui rencontre parfois le monde adulte dans un crash test traumatique, face à ceux qui oublient justement, ou refusent de voir, qu’ils ne sont que des enfants. Au contraire, il y a une innocence sensible entre Eli et Oskar, une nudité naïve, un regard limpide, un amour remarquable. Et pourtant, aux portes des années à venir, il semble que le monde qui s’offre à eux soit bien laid. Ce point ajoute à l’atmosphère quelque chose de profondément touchant. Oui, c’est en quelque sorte une histoire d’amour, mais qui n’en a pas tous les codes.
Le corps des différents personnages est à la fois source de complexes humiliants, nourriture, objet de désirs ignobles, théâtre de décrépitude, se noie dans l’alcool, se noie dans la souffrance, il est force et faiblesse, isole et rallie : tout au long de l’ouvrage, il est central. Il occupe une place magnifique dans ce récit qui vraiment, ne m’a pas laissée indifférente.
Par un style cru et pourtant si beau, l’auteur nous offre un voyage à nul autre pareil, dans un monde où les bruits sont étouffés par la neige, où tout, à première vue, paraît tristement calme et banal…
Ceci dit, petit bémol quand même : les sibyllins passages sensés nous éclairer sur le passé d’Eli…de suggestions et flashs évasifs, ils ne nous renseignent finalement pas ou trop peu…C’est dommage, mais comme je ne veux pas finir sur une touche négative, je dirais que parfois, le mystère a du bon et la vérité gâche le plaisir de l’aventure…
PS : Pour compléter ce coup de cœur, je ne peux que vous conseiller son adaptation suédoise sur grand écran, qui, tout en se démarquant du livre, le fait revivre sous certains aspects.
A découvrir aussi
- Le wagon, de Philippe Saimbert et Isabelle Muzart, aux éditions Asgard, 2006
- Sleepy Hollow, Washigton Irving, Éditions Mille-et-une-nuits
- La légende de la femme louve, tome 1 : Cheveux de feu, Sylvie Wolfs, aux éditions Lokomodo, 2012
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