Les Ô troubles

Les Ô troubles

La maison hantée, Histoire des Poltergeists, de Claude Lecouteux, Editions Imago & diffusion PUF, 2007

        Tapage nocturne, jets de pierres ou d'ordures, vaisselle brisée, claquement des portes et des fenêtres, grognements sourds, incendies spontanés, agressions, apparitions..., telles sont les curieuses manifestations du poltergeist, « esprit frappeur » qui hante une maison, et sème, sur son passage, trouble, désordre et surtout effroi chez ses habitants. Claude Lecouteux rassemble, dans cet ouvrage, les sources diverses relatant ces phénomènes insolites, des textes antiques jusqu'aux faits divers contemporains, et constitue un corpus inédit qu'il analyse avec rigueur et pertinence. En spécialiste de la petite mythologie et des représentations de l'au-delà, il rapproche les poltergeists des démons et des génies, des fantômes et des revenants, et nous offre ainsi, à travers l'étude de ces invisibles voisins, une brillante contribution à l'histoire des croyances et des mentalités. (4e de couverture).

 

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        Tout le monde sait-il faire la différence entre fantômes et poltergeists ? Entre apparitions passives et esprits frappeurs ? De nos jours oui, dans la plupart des cas. Mais qui saurait parler de leur passé ? Bien avant que le cinéma hollywoodien ne les rende célèbres, ces « présences » se sont rappelées aux hommes. Par des jets de pierres, des déplacements inopportuns, des pincements, des claquements et autres, elles ont construit leur histoire. Il est étonnant de voir à quel point on retrouve leurs traces là où on ne les attend pas, dans un passé qui n’a malheureusement pas toujours interpellé les historiens comme il le méritait.

 

        Dans cette passionnante étude, Claude Lecouteux propose à son lecteur, à travers une série de textes judicieusement choisis (notamment dans son chapitre VII, p.-p. 137-156), une analyse du phénomène à travers l’histoire. Il commence son ouvrage en nous présentant ce qu’est un poltergeist, avec toutes les nuances qu’Hollywood exagère souvent. Il se manifeste principalement par des bruits et des jets de pierres, quelques déplacements d’objets et parfois des incendies. Les appellations et les manifestations de cette « présence »  sont diverses et sa nature oscille du génie au mort, du kobold au diable. L’auteur s’attache à une observation du phénomène qu’il veut objective, étape peu aisée étant donné la teneur et l’origine des sources (mais l’effort est récompensé).

 

        Il est fascinant de voir que, bien avant que les effets spéciaux ne rendent le phénomène populaire, de nombreux témoignages abordent le sujet, avec bien sûr, l’empreinte de leur temps. Ainsi, dans son troisième chapitre, l’auteur aborde « Les esprits fauteurs de troubles au Moyen Âge » (p.47). Ce travail, malgré le nombre restreint de sources, est d’une richesse surprenante (il est beaucoup plus courant de trouver des études qui s’attachent aux périodes moins éloignées, les informations moins éparses facilitant la tâche). On y apprend par exemple qu’en ce temps déjà, toutes les présences ne reculent pas devant la religion, elles ne le font que lorsqu’elles sont le fruit de démon ou du Diable lui-même. D’autres, telles que les « esprits » ou les génies topiques, résistent avec force. De même, leur attitude peut varier ; même s’il y a des éléments récurrents tels que les fameux jets de pierres, ces derniers ne blessent que très rarement. Dans les rares cas qui évoquent des paroles, leur contenu est variable, de l’âme en peine à la taquinerie, les témoignages se ressemblent et varient pourtant. Enfin, il existe un nombre restreint de signes annonciateurs, notamment de mort, envoyé par ceux qui ne sont pas encore nommés « Poltergeists »…

 

        C’est ce que l’auteur développe davantage dans le chapitre suivant, en proposant une analyse axée sur les traditions orales transmises par les folkloristes. En effet, les hommes ont très souvent assimilé ces bruits à la mort. Les spirites (mi-XIXe) en ont fondé une activité de communication avec des entités choisies, qui bien souvent ne sont autres que des âmes en peine (À ce propos cf. dans la même rubrique de ce blog, L’Histoire des maisons hantées, de Stéphanie Sauget). Mais d’autres explications existent dans l’histoire des poltergeists, et diableries et sorcelleries sont souvent perçues comme le point de départ de bien des manifestations…

 

        Et c’est exactement ce thème que l’auteur aborde en nous parlant des diverses « maisons du Diable » (p.89). Ce nouveau chapitre est particulièrement plaisant, car Claude Lecouteux choisit de mettre en avant l’exemple, en retranscrivant ses sources, depuis un extrait de Chronique de Jean de Winterhur rédigé vers 1340, jusqu’à un témoignage daté de l’époque contemporaine, puisqu’en 1895 à Hauteville, le « Diable » se manifesta aussi…Il est d’ailleurs intéressant de relever que ces cas sont plus courants à l’époque moderne et contemporaine, sans doute pour des raisons de conservation des sources.

Mais, déjà au Moyen Âge, le Diable et sa sorcellerie ne sont pas les seules interprétations des manifestations. En effet, comme on l’a dit, nains et lutins font eux aussi partie des responsables possibles. Ce qui n’est que logique puisque dans la mentalité des temps passés, il y a une assimilation de ces derniers au Diable. Ces lutins qui sont souvent nés de l’amalgame de données variées semblent, dans de nombreux pays, et sous différents noms, agirent comme des esprits frappeurs ou tapageurs. De même, ils peuvent figurer une interprétation quasi burlesque, permettant de minimiser la peur qui émane de ces manifestations.

 

        Après un chapitre dédié à deux histoires particulièrement frappantes, notamment par le nombre d’événements qu’elles décrivent, tout à fait représentatif de l’activité poltergeist (et non je ne vous en dis pas plus…à vous de les découvrir...), l’auteur choisit d’aborder « Des manifestations singulières » (Chapitre VIII, p.-p.157-176). On trouve alors, en quelques pages, un patchwork d’activités poltergeists plutôt troublantes, tels le feu, l’apparition de mains, la réception de voix, les persécutions, les pierres chaudes, la course erratique des objets, ou encore, la spécificité scandinave. Tout un programme qui nous conduit à admettre que les manifestations peuvent être variées, il n’en reste pas moins vrai qu’elles ont un tronc commun qui permet de certifier, selon les témoins, d’une présence active.

 

        Ainsi, même si au fil du temps ou de la géographie, ces manifestations ne sont pas interprétées de la même manière (parfois Kobold, parfois défunt, ou simples troubles psychiatriques dans un passé plus proche) elles n’en conservent pas moins des points communs dont l’interprétation reflète avant tout l’état des mentalités et des connaissances qui leur sont contemporaines : Fruit d’une activité diabolique pour l’Église, ou d’une présence folklorique pour une part plus populaire de la population, qui reste attachée à de vieilles croyances concernant la terre (d’où les génies domestiques, locaux et champêtres). Les morts ayant en commun avec les êtres cités précédemment, le fait de faire du bruit pour se manifester, c’est tout naturellement que ces événements ont été rattachés à la manifestation de défunts (âmes en peine pour l’Église). Les spirites iront même jusqu’à chercher à communiquer avec ces phénomènes perçus alors comme des morts à secourir. Finalement, tout phénomène inexpliqué interpelle. Comme le dit l’auteur lui-même : « La manifestation trouve sa véracité dans la tradition et la véracité de celle-ci est confirmée par la manifestation » (p.182) L’Homme cherche à l’expliquer et par là, retranscrit sa logique, elle-même soumise à la conjoncture de son temps. Et il ne faut pas oublier non plus qu’on peut tout simplement être enclin à croire, moyen peut-être de lutter contre des peurs ancestrales. 

 

        Voici à peu près ce que j’avais à vous dire à propos de ce travail. Cependant, je souhaiterais ajouter quelque chose. En effet, contrairement à d’autres écrivains de son rang, Claude Lecouteux a réalisé ici un travail aisément compréhensible par tous. Ainsi, sans être expert du sujet, sans être lecteur assidu et entrainé, vous pouvez lire cet ouvrage sans être rebutés. La fluidité du style et la simplicité des propos, la volonté d’expliquer pour être clair, et pas uniquement pour faire étalage de ses connaissances, rendent cette étude absolument charmante !

Voilà, je vous laisse…bonne lecture !



23/03/2014
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