À l’encre de tes veines, Céline Rosenheim, chez Rebelles Éditions, Collection Lune de Sang, 2012
8,5/10
A l’image du diable, les vampires sont multiformes et savent dissimuler leur cruauté sous divers masques. Ils peuvent être aristocrates, peintres ou simples rêveurs. Elles peuvent être actrices, comtesses ou filles de joie. Ils arpentent le passé, le présent et l’avenir. Ils se jouent des frontières, de l’Irlande au Japon, de Venise au Grand Nord. Ils s’immiscent dans vos rêves de féerie, dans vos cauchemars futuristes. Et s’ils font pleuvoir bien des larmes, ils sauront peut-être vous voler un sourire. Mais avant de pénétrer dans leur monde, il vous faudra faire une offrande, car ce livre s’écrit à l’encre de vos veines. (4e de couverture)
Enfin, je trouve le temps de vous parler de cet ouvrage qui, sans prétention, vous auréolera de pourpre et de vinyle pour mieux vous séduire.
Il s’agit donc d’un recueil de vingt nouvelles et cinq poèmes qui, à travers le prisme d’une écriture maitrisée, vous entraineront dans la beauté des profondeurs obscures… Les textes sont nombreux alors, avant d’en parler plus en détail, je vais essayer de vous livrer un avis plus général sur ce qui se cache derrière la sublime couverture d’Étienne Pernoud.
Sombre et beau, noir et classique ; voilà en peu de mots mon premier ressenti une fois la dernière page tournée. Il plane entre ces lignes une lumière funeste et pourtant, on y trouve de quoi sourire en frémissant, de quoi s’interroger en redoutant. À la manière dont on observerait une ténébreuse dentelle, on découvre ici une finesse travaillée avec goût pour un résultat très agréable.
Le thème commun à tous les textes est donc le vampirisme, mais sous de nombreuses formes ; contemporain, drôle, langoureux, violent, historique… C’est suite à un échange avec Céline Rosenheim que l’envie m’est venue de découvrir ses textes. En effet, la jeune auteure avait alors souligné ses inspirations littéraires parmi lesquelles Estelle Valls de Gomis et Anne Rice, Carmilla et Dracula… ainsi qu’une « foule d’autres auteurs » (pour reprendre ses mots). Et de ce fait, je ne fus qu’à moitié surprise de retrouver de nombreux topoï vampiriques, ce qui ne m’a absolument pas dérangée, bien au contraire ! Il y a des attributs qui font le charme des créatures, les conserver est donc important parfois. Même si ce peut être tentant de s’illustrer par la nouveauté, il est aussi délicieux de retrouver ce que l’on aime sans plus d’artifice...tout dépend de l’écrin, et ici il est plutôt réussi.
À l’ambiance générale du livre s’ajoutent plusieurs références musicales qui vous permettent de mêler lecture et mélodie, lettres et notes…j’ai beaucoup apprécié.
Je tiens aussi à souligner que le corset est une pièce phare de l’ouvrage de Céline Rosenheim, ici on le porte pour sublimer, on le porte à se pâmer, et cet objet que j’aime tant en est magnifié (bon, ça, c’est un détail, mais vraiment, cet aspect m’a séduite !)
Parler de tous les textes serait laborieux et le risque de les spoiler, étant donnée leur taille, me pousserait à jouer avec le feu dans chaque paragraphe. Je vais donc m’arrêter sur certains seulement, bien que ce soit très dur pour moi de choisir.
Le texte intitulé Méduse nous offre, entre autres, une vision courte, classique, mais très appréciable d’un cimetière urbain. Si je prends le temps de m’attarder sur ce court texte, c’est parce qu’il souligne l’une des facettes que peut prendre la plume de Céline Rosenheim… « Les corps figés dans l’albâtre pour l’éternité se tenaient au-dessus des corps éphémères destinés à la voracité des vers » (p.38)…
Le sang des fées est un texte qui commence sous les meilleurs auspices pour s’achever dans le sordide le plus malsain. Comme je vous le disais, on traverse différentes visions fantastiques et féériques à travers ces pages, mais elles ne nous conduisent pas toujours où on le pense…C’est l’aspect que j’ai particulièrement aimé ici ; une féérie sanglante qui ne s’embarrasse pas de la bienséance.
Bianca n’est autre qu’une version contemporaine et vampirique de Blanche Neige ! Oui, vous avez bien lu, les sept nains deviennent sept musiciens, etc. Quelques pages de pure fantaisie qui prêtent à sourire et soulignent le style de l’auteur qui, même si elle aborde un thème classique, le torture au point d’arriver à nous surprendre. Je vous laisse découvrir…c’est plutôt réussi et agréable.
L’enfant Lune est un texte absolument magnifique…L’auteur y mêle l’imaginaire enfantin autour de la tristement célèbre maladie des « Enfants de la Lune ». Le ressenti du jeune protagoniste est pur, beau et magique. Il y a quelque chose de naïvement crédible dans ses propos : être tombé de là-haut, attendre qu’on vienne vous rechercher, étant donné le nom de sa souffrance et la manière dont elle le confine, est une explication lugubrement tangible pour un enfant. Jusque là on sourit, et puis…et puis comme elle sait le faire, l’auteur nous gifle avec une tout autre réalité, pas celle à laquelle je m’attendais et je dois bien vous l’avouer, mon sourire s’est alors figé…Il y a beaucoup à lire entre les lignes de cette nouvelle.
La fille sur le pont est une nouvelle à la fois drôle (vous découvrirez ce qu’est un vampire végétarien !) et en même temps teintée d’une sombre lumière ; celle de la fatalité, prendre les décisions qui s’offrent et s’en accommoder ou choisir pour soi-même…il y a toujours plusieurs possibilités si on ne se voile pas la face…
Enfin, Les lacets amoureux se jouent de nous et le récit, par sa crédibilité, nous entraîne avec une pointe d’humour noir, dans les secrets d’alcôves d’une Belle époque révolue. Le hasard et la malchance y ont leur place, aux côtés, bien sûr, d’une pointe de surnaturel…
Il faut bien s’arrêter quelque part et je mets donc un terme à mon énumération de nouvelles, mais sachez que ce n’est là qu’un échantillon. En effet, vous découvrirez aussi des vampires parqués dans un ghetto, les morbides secrets d’une Geisha à la beauté, semble-t-il, immortelle, et des reines de beauté nocturnes aux funestes desseins…un régal !
L’insertion de poèmes est une douce invitation à pousser les portes du monde de l’auteure, à s’imprégner des relents noirâtres et romantiques qui hantent les pages…
Mais, comme tous mes avis sont donnés avec sincérité, je ne peux dissimuler ce qui m’a tout de même dérangée dans ce recueil. Bien que le problème soit intrinsèque à de nombreuses nouvelles, leur taille est un obstacle à mon immersion et parfois, j’ai vraiment eu le ressenti d’une étincelle…C’est un peu comme lorsqu’il faut suivre un guide dans un musée, lui emboiter le pas alors que chaque salle recèle d’une multitude d’objets sur lesquels on voudrait s’attarder…
Enfin, s’il me faut conclure, je ne peux que vous conseiller de découvrir ce recueil qui regorge de sordides surprises, d’humour noir et surtout…de canines acérés…
http://www.youtube.com/watch?v=xkpppEc1SAA
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