Morris Edita, Les fleurs d’Hiroshima, Paris, J’ai lu, 2012, 126 p. (VO: The flowers of Hiroshima, 1961, traduit de l’américain par Suzanne Lipinska)
Le début de l’œuvre pourrait raconter la journée de n’importe quelle autre japonaise : le jardin, le cerisier, le thé et l’oiseau dans sa cage. Mais rapidement, on comprend. Cette manche de kimono qui glisse, qui laisse entrevoir les marques, la cicatrice d’un mal qui ronge, cachée sobrement. Ce n’est qu’un exemple de la pudeur qu’emploie l’auteur pour nous parler d’Hiroshima et de ses ravages.
Nous sommes 15 ans après la catastrophe humaine que fut la bombe atomique, little boy, mais sa présence se fait de plus en plus intense au fil des pages. Il y a là une mère, ses deux enfants, son époux et enfin, sa petite sœur de 17 ans. Tous sont affectés par ce drame, tous ont survécu pour vivre dans un "après" qui ne les reconnait pas. Et cet américain, Sam, arrive dans ce foyer. Innocemment, il découvre la vérité derrière le voile que constitue l’éducation japonaise. Son personnage crée un contraste total avec le quotidien de ces Japonais : il est jeune, fort, bien portant et gai. Il est une certaine image du lecteur, bien que ce ne soit pas par ses yeux que nous apprenons la vérité : il est, tout comme nous, l’invité sauf de ceux qui ont souffert et qui souffrent encore.
On ne peut qu’être marqué par le sordide ostracisme dans lequel doivent vivre les rescapés. Ils me sont apparus comme enterrés vivants, coupés du monde des « bien portants », effrayants aux yeux de ceux qui ne savent pas, qui ne veulent pas savoir ou qui veulent oublier le peu qu’ils ont vu. Ils payent encore la défaite, dans leur corps et dans leurs souvenirs, mais aussi dans ce qu’ils sont devenus : des rebuts de la société "nouvelle".
▲ // Attention, spoile dans les 2 paragraphes qui suivent // ▲
Peu à peu, on comprend que le mari souffre d’un mal incurable, les radiations ont soufflé sa vie de l’intérieur. Il agonise puis meurt à la fin de l’ouvrage, nous laissant là, pauvres lecteurs, assimilant lentement l’horreur de la situation. Cette chambre d’hôpital est un caveau dans lequel pourtant, chacun se réjouit de voir un écureuil sur le bord de la fenêtre. Symbole du bonheur simple voulu par tous, et si fragile pourtant.
La petite sœur, quant à elle, doit refuser l’amour parce que son sang charrie la mort, parce que ses entrailles portent le mal. Elle fuit à la fin du livre plutôt que de risquer de donner des enfants « monstrueux » à celui qu’elle aime. La famille de ce dernier l’a d’ailleurs refusée comme belle fille, souillée par Hiroshima, elle entacherait la lignée.
▲ //Fin du spoile// ▲
Et tout au long de l’œuvre, il y a le courage de cette mère, la solidarité, les plaisirs simples qui nous apparaissent comme autant de bourgeons sur un arbre mort. La rivière, elle, reçoit les fleurs blanches de ceux qui connaissent son secret : elle porte en son lit des centaines de corps, torches humaines qui se sont jetées vivantes dans ses eaux, espérant y trouver l’apaisement de leur agonie. Les eaux charrient le souvenir, sans jamais réussir à le submerger.
A tout cela il faut ajouter les multiples rencontres qui soulignent la fierté outragée, mais toujours vivante, de ceux qui étaient là, ce 6 août 1945 à 8h15.
Ce livre est juste magnifique, époustouflant et pur. Il est respectueux, pudique, honnête. Bouleversant…
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