Le dahlia noir (V.O. : The black Dahlia), 1987, James Ellroy (by Dusty M.)
Livre coup de poing, livre douleur, autant pour le lecteur que pour son auteur. Dans un grand roman, dans un bon roman, tout est là, tout est dit dès les premières pages, dès les premiers chapitres. C’est de la façon dont sont exposées les choses que nait le tout ! Le Dahlia Noir commence ainsi : « Vivante, je ne l’ai pas connue, des choses de sa vie je n’ai rien partagé. Elle n’existe pour moi qu’à travers les autres, tant sa mort suscita des réactions transparaissant dans le moindre de leurs actes. En remontant dans le passé, ne cherchant que les faits, je l’ai reconstruite, petite fille triste et putain, au mieux quelqu’un qui aurait pu être, étiquette qui pourrait tout autant s’appliquer à moi ». Le narrateur est ici un flic, mais aussi, et surtout : Ellroy lui-même qui avec ce premier roman, ressuscite sa mère à nouveau pour comprendre sa mort, son meurtre. Ellroy donc, écrivain et narrateur, revient sur cet acte fondateur dans sa vie : le meurtre de sa mère. Il tourne autour, y entre, cherche, explique et tente sans doute de faire table rase du passé tout en se rapprochant de cette femme qui fut sa mère, vivante trop peu de temps. On comprend alors que dès la genèse de ce roman, on va plonger, le lecteur avec l’auteur, dans un récit sombre, violent émotionnellement tout comme physiquement (et j’insiste sur le physiquement, on reviendra dessus plus tard).
Autre point de départ absolument passionnant pour qui s’intéresse à l’histoire du crime ou pour quiconque est à la recherche d’un récit sombre et mystérieux : l’abominable meurtre du Dahlia Noir. En 1947, est retrouvée sur un terrain vague de Los Angeles une starlette atrocement mutilée, coupée en deux pour être plus précis… Je ne vais pas m’appesantir sur l’histoire véritable aujourd’hui, mais je vous en reparle très bientôt grâce au livre de Vincent Mirable : Hollywood Crime Stories. Ellroy prend comme point de départ ce cadavre, au pubis tranché en deux, aux poignets et au cou couverts d’ecchymoses, peut-être violé, un corps qui soulèvera des interrogations pendant plus de trente ans. Point de départ, car d’abord, encore et toujours, écho à sa mère qui sera elle aussi un cadavre mystérieux. Mais également, et là c’est fondamental pour toute la suite de l’œuvre d’Ellroy, point de départ d’une plongée dans Los Angeles, la cité des anges, mais des anges déchus, abandonnés dans une ville qui n’a plus rien d’humain, tant dans sa dimension que dans son comportement. Le crime du Dahlia Noir, dans le roman d’Ellroy, se confond étrangement avec la création d’Hollywood et avec la création de ce que l’auteur appellera son «quatuor de Los Angeles », c'est-à-dire une série de quatre romans, ayant pour décors la trop grande cité et sa foule hétéroclite d’après guerre. On pourrait discuter pendant des heures de ce quatuor, mais les critiques ont à ce jour parfaitement résumé ce qu’il était : Émile Zola écrit sur Los Angeles ! C’est à dire, une comédie humaine, une description de la « dégénérescence » de notre société, façon Rougon Macquart. Je ne vais pas développer ici, car ce serait beaucoup trop long, mais l’on a saisi l’ambiance de ce roman et de l’ensemble du quatuor (Le Dahlia Noir, Le grand Nulle part, LA Confidential, White Jazz).
Décors, des corps. Au début est le crime particulièrement atroce de celle que l’on nommera donc le Dahlia noir, référence au Dahlia Bleu avec Veronika Lake qui ressemble à s’y méprendre à l’inconnue mutilée. Mais donc, ce crime c’est avant tout Los Angeles d’une certaine époque et le livre s’ouvre non pas sur le meurtre, qui en fait intervient plus ou moins tardivement dans l’histoire, mais sur les émeutes raciales qui frappent la ville. Flic corrompu contre Mexicains que l’on chasse de la cité. Corruption et violence. Une époque sombre qu’Ellroy est loin d’idéaliser. Le mythe de l’Amérique est bien écorché !
Mais, ce qu’il écorche encore plus et ce qui moi me frappe dans ce roman et dans la prose d’Ellroy ici, c’est l’utilisation particulièrement violente qu’il fait des corps. Émeute raciale au début, mais aussi et surtout combat de boxe. Dans les premiers chapitres, qu’il nomme « La glace et le feu », Ellroy nous plonge dans l’univers de ces combats, dans l’univers des corps qui s’entrainent, qui se cognent, se frappent, se font souffrir, luttent, mais aussi vieillissent, s’aiment ou non, se cherchent. Les corps comme point de départ véritable, la boxe, mais aussi la lutte de deux flics que l’on nomme la glace et le feu, deux corps, le chaud et le froid, la vie et la mort. Tout est dans le corps, viande et problème, meurtre et sexe. Le corps comme ambigüité, puisque l’on va trainer du côté gay et lesbien, le corps comme mal-être et questions, car on va traquer un pédophile, le corps comme moral, car on va plonger dans le monde de la prostitution et du porno, on frôle le snuff movie (comme si le cinéma, dès le début de sa création était quelque chose de corrompu lui aussi !) et le corps bien sûr comme meurtre, mutilation et disparition. Dans la ville de Los Angeles, décor soi-disant paradisiaque, machine à rêves, les corps suintent, saignent, pourrissent, se découpent, se vendent et les flics corrompus, abimés, au mieux tentant de lutter contre eux même, ne sont que des mouches invitées à un festin après que les carnassiers soient déjà passés ! Les flics se mettent à la colle, c'est-à-dire qu’ils se maquent avec les femmes de gangsters, s’échangent les putes comme les indics. La morale réprouve, mais de toute façon à cette époque la morale américaine réprouve à peu près tout et le paradis est inaccessible pour tout le monde ou presque. Vous l’aurez compris, vous êtes dans un polar noir, très sombre, du Ellroy pur jus.
Sombre oui, mais j’ai quand même envie de tenter de finir sur une note optimiste. Pas facile quand il s’agit de James Ellroy…Pour ma part, je suis très sensible aux femmes dans la littérature d’Ellroy et aux femmes de ces années 50’s. Je les trouve magnifiques et Ellroy les décrit assez bien, car elles sont belles, mystérieuses, troubles et troublantes, parfois même vicieuses dans tous les sens du terme. Et tout ça mélangé donne des personnages au final libres ou du moins, tentant d’atteindre la liberté et essayant plus que les hommes d’obtenir cette liberté ! Le personnage principal féminin du Dahlia Noir, excepté le Dahlia lui-même qui brille par son absence, c’est Kay Lake. Ancienne femme de gangster qui purge une peine de prison pour hold-up. Elle se met avec un « flic » qui est censé la protéger, elle rêve de devenir institutrice, de fuir L.A. et d’oublier les cicatrices sur son corps (le corps encore, mutilation, traces du passé…). C’est le personnage qui va dire « merde » aux hommes et à leur histoire, qui va vivre, essayer de vivre, son histoire. La vraie révolution, la vraie héroïne c’est elle. C’est la femme qui, répondant au cadavre du Dahlia Noir dit : vous ne m’aurez pas ! J’ai souffert à cause des hommes, je peux fuir et vivre ma vie. Je m’arrêterai là sur les femmes et Ellroy car une chronique n’y suffirait pas et il nous faudrait y consacrer un dossier entier. La femme reste malgré tout une ambigüité et il est fréquemment question de lesbiennes dans le roman d’Ellroy. La description qu’il en fait est magnifique, je vous laisse découvrir, mais on est loin ici des fantasmes masculins et il y est plutôt question de liberté.
Si le roman s’ouvre sur des émeutes rappelant les images d’une révolution avortée, on comprend aisément que le Dahlia Noir parle d’un Los Angeles qui tente de changer, un Los Angles corrompu et sale, mais où dans l’ombre, la liberté tente de gagner du terrain malgré tout et où les êtres essaient de s’en sortir comme ils peuvent, avec ce qu’ils peuvent, sans que la ville ne puisse les aider.
En conclusion, car il faut bien finir, Le Dahlia Noir est un polar dur, sombre, le portrait d’une ville, d’une époque, les années 50’s et une enquête absolument fascinante : le genre de bouquin que l’on ne lâche pas, malgré sa violence, et dans lequel on a envie de replonger aussitôt !
À noter qu’un film, réalisé par Brian De Palma, est adapté du roman. Si le long métrage est beau, il n’a à mon sens pas grand-chose à voir avec l'ouvrage et il montre surtout que De Palma a perdu beaucoup de sa fougue d’antan. C’est un vague film noir mais je ne saurais que vous en conseiller d’autres : du Faucon Maltais en passant par Gilda ou bien sûr mon préféré : Quand la ville dort (film de 1950 de John Huston et l’un des premiers rôles de Marilyn Monroe et pour moi le maître étalon du genre) au final très, très proche d'Ellroy.
Voilà, je ne peux que vous conseiller de foncer découvrir ce chef-d'œuvre absolu du roman noir, du polar, et je vous laisse découvrir la plume sombre et malade de Ellroy, qui sur votre bibliothèque peut très facilement côtoyer Fante (père et fils), Bukowsky ou bien Stephen King….
A découvrir aussi
- L’enfant des cimetières, Sire Cédric, chez Le Près aux Clercs, 2009
- La sagesse des morts, Rodolfo Martinez (traduit de l’espagnol par Jacques Fuentealba), aux Éditions Mnémos, janvier 2010
- Corps manquants, de Colleen McCullough, Éditions de Noyelles, 2008 (publié à New York dans sa version originale : On Off, par Simon & Schuster, 2006)
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